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"Elémentaire mon cher Watson..."
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  • Vous pourrez lire des nouvelles policières (ou non) écrites par des gens du monde entier s'étant rencontrés en aout 2008 en Belgique. Ce site est né de cette association d'apprentis auteurs. Bonne lecture!
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11 septembre 2008

Les Gauloises blondes

J’ai l’habitude de me lever tôt. Un peu d’eau froide sur la figure. Les mains et les dents propres. Quelques croquettes pour le chien et une tartine à la rhubarbe pour moi. Un regard pour maman. La machine à laver qui tourne. La porte du garage qui chuinte. Comme toujours. La voiture qui toussote. Comme toujours.

Sam, que je promène tous les jours dans les environs du lac, semble nerveux… Ca ne lui ressemble pas. L’air est pourtant frais et agréable. Le soleil dévoile la blancheur d’un délicat voile brumeux. J’entends Sam qui aboie au loin. Arrivé à sa hauteur, j’aperçois à quelques mètres de la berge une masse informe qui flotte à la surface. Intrigué, je m’approche et découvre qu’il s’agit du corps d’un jeune garçon. Antonin, le fils d’une aide soignante qui s’était occupé de ma mère ! Sans hésiter, je plonge dans l’eau glacée et le ramène sur la terre ferme. Il respire. Je l’enveloppe dans une couverture et appelle les secours.

***

Après ma déposition, j’arrive au journal. J’informe mon rédacteur en chef des faits et il me charge d’enquêter sur l’affaire. La situation me paraît bizarre. Je suis impliqué en tant que témoin et je dois à présent changer de point de vue pour prendre celui de l’enquêteur. Cela dit, ça peut aussi être un avantage… Quelques éléments m’ont peut-être échappé ce matin, des détails qui pourraient nourrir mon article et surtout expliquer ce qui s’était passé près du lac. C’est de là que doit partir mon raisonnement. C’est comme ça que je pourrai défricher un peu la question. Prendre des points de vues divers et entrer dans des rôles différents. C’est toujours comme ça que je procède dans les affaires de la sorte : se mettre dans la peau de l’agresseur, prendre l’œil du policier, avoir le recul du journaliste et bénéficier du vécu du témoin. Et cette fois donc, comme témoin, j’ai le « privilège » d’avoir tous les éléments à portée de mains. Je pense notamment aux impressions, senteurs, ombres et lumières. Et j’essaye à cet instant de me replonger dans celles qui me restent de la matinée. Ombres et lumières. Me voilà debout sur un fil, tel un funambule, qui peut chavirer d’un côté ou de l’autre à tout moment. Mais je reste un professionnel et l’expérience de mes années de métier me rassure malgré le fait que, cette fois, je sois partie participante.

Après m’être laissé submergé un temps par ce que j’avais vécu ce matin, bénéficiant des petites informations glanées au fil des souvenirs, je laisse progressivement place au raisonnement. Qu’est-ce qui expliquerait ce que cet enfant faisait à cette heure et à cet endroit ? L’enfant… les bras en croix… en pyjama… Mais des éléments me manquent quant aux circonstances qui auraient pu conduire à ce drame. Drame, c’est le mot. Celui que je pense utiliser pour qualifier cette affaire dans mon article. Fugue ou accident, acte crapuleux ou crime prémédité ? Il faut éclaircir certaines choses, même si une fugue me semble peu plausible chez un garçon de cet âge.

A l’hôpital, on me dit trois choses : que l’enfant ne s’est toujours pas réveillé, que les premiers examens n’ont pas montré de traces de sévices sexuels récents et que l’on essaye, en vain jusqu’à présent, de contacter sa maman.

Lors de mes premières interviews, une information d’importance m’est donnée à la Haie Dorée, le café de Bois-sur-Senne, sans pour autant pouvoir en mesurer toute la pertinence. Le tenancier est un jeune homme d’une trentaine d’année, assez simple, mais joli garçon. Il connaît bien Annie Vanrie, la maman, laquelle, me dit-il, « est gentille et discrète et m’achète régulièrement des Gauloises Blondes ». Tandis que je lui parle, un homme accoudé au bar interrompt notre conversation :

- Ca m’étonnerait pas qu’ce soit l’garagiste qui ait fait le coup. L’était l’amant d’cette femme jusqu’à y a quinze jours. Et puis j’l’ai vu se battre avec le paternel du gamin. C’tait à mon dernier entretien au garage. J’vais vous dire, mon grand, c’que j’ai entendu d’la bouche du légitime ce jour-là : « Je suis son père et je le resterai ! ». Et puis c’que j’ai vu surtout, c’est l’regard de c’t’enfant, à moitié plié su’l’banquette qui essayait d’se boucher les oreilles avec ses bras. Et puis j’me rappelle aussi qu’il avait c’te tache brunâtre dans les ch’veux…

- Arrête de boire, Tom, s’écrie le tenancier en riant. Ne l’écoutez pas, Monsieur, ajoute-t-il en se retournant sur moi, Tom tuerait père et mère pour être dans le journal. Et puis il n’est pas à sa première pinte !

Voilà ce dont je devais me contenter après plusieurs heures de recherches et de discussions. Une dispute et une tache que je ne me souviens pas avoir vu ce matin. Tout ça de la bouche d’un poivrot notoire ! Cela dit, si cette aventure s’avérait exacte, ça pourrait dénouer beaucoup de choses. Le père et le garagiste. Voilà en effet deux personnes qui pouvaient partiellement expliquer la présence de cet enfant près du lac en pyjama et pieds nus vers les six heures du matin. Et la mère, l’aide soignante, quel était son rôle dans cette histoire ? Une autre piste à éclaircir.

Plus tard, quelqu’un d’autre me confirmera que le garagiste, cet homme costaud, rustre, marginal, était l’amant de la mère d’Antonin depuis plus de deux ans et qu’il s’était fort attaché à l’enfant. Quant au père, à part Tom, personne ne l’aurait vu depuis longtemps. Ce qui est étonnant car, en général, dans les villages de la région, peu de choses passent inaperçues, ce qui est d’ailleurs fort pratique pour un journaliste de ma trempe. Je me décide alors de me rendre au garage. Mais personne ne répond. Je devais en avoir l’explication une vingtaine de minutes plus tard, quand mon rédac’ chef me téléphone pour m’annoncer qu’Annie Vanrie, la mère d’Antonin, avait été retrouvée morte le crâne fracassé et que son amant, Frédéric Hornie, garagiste-ferrailleur, avait été interpellé un peu plus tôt. Les policiers désiraient connaître son emploi du temps.

Epuisé par cette longue journée, je retourne chez moi et je réfléchis à la suite des événements. Voilà que l’enquête s’ouvre sur de nouvelles perspectives. Il s’agit à présent d’un meurtre accompagné d’une tentative de meurtre. Une véritable sauvagerie. Frédéric, le coupable idéal ? Possible. Mais je préfère les certitudes et tout ça me paraît un peu trop simple… ce qui peut d’ailleurs très bien jouer en faveur comme en défaveur du suspect. Pour la suite, je décide de fonctionner en deux temps. D’abord m’informer sur les avancements de l’enquête auprès de la police et leur faire part de ce que j’ai appris. Ensuite, aller voir Etienne Vanrie, bourgmestre et donc chef de la police, mais aussi respectivement père et grand-père des deux victimes. Ce qui fait de lui une personne particulièrement intéressante à interviewer.

Le lendemain, vers 10h, je me rends à la police. Ils commencent par me reposer des questions sur les circonstances de la découverte de l’enfant. De petites précisions. Informés de mes rencontres au village et de mes observations, les policiers évoquent brièvement où ils en sont. Frédéric se serait disputé avec Annie et la dispute aurait mal tourné. Antoine aurait pu en être le témoin et l’homme aurait décidé de le supprimer à son tour. Un marteau taché de sang a été retrouvé. Aucune empreinte n’apparaît sur le manche ; il aurait été nettoyé. Il s’agit de la marque que Frédéric utilise dans son garage. Une marque assez rare… Par contre, la police est toujours à la recherche des pantoufles Gaston Lagaffe de l’enfant. Ces pantoufles auraient laissé des traces dans la boue qui se trouve entre la maison de la famille et la route mais n’auraient pas été retrouvées, ni aux abords de la route, ni aux abords du lac. Avant de partir, je fais remarquer aux inspecteurs que le père d’Antoine aurait très bien pu prendre ce marteau chez le garagiste afin de l’accuser. Car sinon, pourquoi effacer les empreintes ?

Je me rends ensuite dans le bureau du bourgmestre. Je m’attendais à trouver un homme effondré et inquiet pour la santé de son petit fils. Mais l’homme fait bonne figure, me sourit et me remercie d’avoir sorti Antonin de l’eau avec une pointe d’embarras assez étrange. Je lui demande son avis sur le coupable présumé. Il fait mine de s’en étonner, me dit que c’était pourtant un homme sympathique et courageux. Je lui fais part du portrait, sensiblement différent, que plusieurs personnes m’ont donné au village. Devenu soudainement plus nerveux, il me dit :

- Ces gens ne savent pas ce qu’ils disent. Cet homme est digne de confiance !

- Vous pensez plutôt à quelqu’un d’autre, n’est-ce pas ?, lui demandai-je.

Il acquiesce d’un geste de la tête, puis son visage se ferme complètement. Un animal visqueux qui rentre dans sa coquille.

Et j’ajoute :

- Le père d’Antonin ? Un homme violent, n’est-ce pas ?

Mais à ces deux questions je ne reçois aucune réponse. Je comprends que je dois me retirer et je retourne au journal pour mettre tous les événements des derniers jours sur papier. Une fois le travail achevé, plusieurs questions me taraudent encore et semblent ne pas trouver d’éléments de réponse clairs. Mais elles s’envolent dès que le téléphone sonne.

***

C’est la police. Antonin s’est réveillé. Il accuse Frédéric. C’est bien lui qui s’est battu avec sa mère ce soir là. Il a reconnu sa voix. C’est lui qui est venu dans sa chambre plus tard. Il en est persuadé. Et c’est donc lui qui l’a emmené au lac et qui a tenté de le noyer. Face à ces accusations, le vigoureux garagiste n’a pas tenu. Il s’est défenestré, comme découvert, comme un aveu.

***

Je suis rentré chez moi et j’ai allumé l’âtre qui domine mon salon. J’ai récupéré le sachet en plastique que j’avais laissé sous mon siège, comme pour dénoncer quelqu’un « au cas où ». J’ai regardé ma mère dans son cadre en bois, morte parce qu’Annie Vanrie s’était trompée dans ses médicaments. Et je jette le plastique dans les flammes. Et je souris en voyant le visage de Gaston Lagaffe se noircir et fondre sur ce petit 32.

Michael

Nioung

Catherine

Donatienne

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